Madame Marie-Anne Montchamp, Présidente de la CNSA, a participé à la journée de tous les GEM, organisée par le CNIGEM au Ministère de la santé, le 10 avril 2018 :
Voici quelques extraits de sa communication improvisée en début de séance :
« C’est une chance pour moi que vous ayez eu la gentillesse de m’inviter, à votre journée du Collectif National Inter-Gem. Et si vous êtes d’accord, Mesdames et Messieurs, je vais tout simplement vous dire le fond de mes convictions et j’espère qu’à travers mes propos, vous verrez un encouragement et un soutien…
Le GEM, c’est une affaire que j’ai croisée un jour sur mon chemin alors que j’étais au gouvernement et qu’il s’agissait de voter la loi du 11 février 2005. Je ne savais pas ce que c’était. La chance que j’ai eue, c’est que quelqu’un m’a pris par la main et m’a dit : « on va aller dans un Gem et on va aller avec les adhérents passer un moment ». Et ce moment, a été celui où, j’ai compris, avec mes moyens à moi, avec mes mots à moi, avec ma manière de comprendre les choses, ce qu’était le caractère irremplaçable, inéluctable, fondateur des Groupes d’Entraide Mutuelle…
Les gens que j’ai rencontrés alors, ne m’ont pas parlé de leur histoire souffrante, ils ne m’ont pas parlé de leur pathologie, de leurs difficultés sociales. Pourtant je pense qu’ils en avaient leur lot. Mais ils m’ont parlé de ce qu’ils faisaient là, les uns avec les autres, les uns par rapport aux autres, ils m’ont affirmé que pour eux, c’était le rétablissement. Voilà ce que j’ai compris ce jour-là, à Bordeaux, des Groupes d’Entraide Mutuelle.
Et il y avait, cela va vous paraître un peu bizarre, mais je vous ai dit que je vous parlerai sans détour, il y avait une esthétique de ce lieu. Il y avait là quelque chose de précieux, il y avait là quelque chose de fragile…
Et j’ai, évidemment, tenté de me rendre utile à la place qui était la mienne, en soutenant autant que j’ai pu, le fait que dans la loi, on consacrerait l’existence des Groupe d’Entraide Mutuelle en leur permettant de vivre, de s’organiser, de se développer, de rester protégés, parce qu’ils doivent l’être, sans les assigner à résidence, dans un camp ou dans un autre, en tolérant, ce qui n’est pas si fréquent dans la loi et dans les règlementations, leur originalité et leur spécificité. Et c’est là que le combat a commencé. Combat pour que les GEM se développent, mais aussi combat pour que les GEM restent des GEM.
Parce qu’elle est compliquée la situation d’équilibre d’un GEM. À tout moment, quelqu’un, parce qu’il va s’exprimer dans une relation d’autorité, l’autorité du sachant, l’autorité du régulateur, l’autorité du juriste, l’autorité de l’expert en santé mentale, peut prendre le pas sur l’équilibre fragile que les adhérents construisent entre eux de gré à gré.
C’est pour cela qu’il était important que le cahier des charges redise bien l’attention qu’il faut porter à la protection de cet équilibre complexe, ténu, fragile qui est celui du Groupe d’Entraide Mutuelle.
C’est pour cela que dans votre fonction de plaidoyer, de soutien avec ce mouvement de formation et d’information, vous portez avec le CNIGEM, une responsabilité considérable.
Comment se fait-il alors que cette structure, tellement dérogatoire au fond de toute les pratiques classiques de la protection sociale, on la maintienne comme cela. Enfin, on la maintienne, comprenez-moi, elle se maintient toute seule. Mais on lui donne la possibilité par des fléchages budgétaires, par un certain nombre de production : Cahier des Charges, brochures pédagogiques de la CNSA, et d’autres, de rester, au fond, dans ce paysage comme la loi veut qu’elle reste…
Je vais vous dire mon intuition : notre mode de protection sociale est à la croisée des chemins. Aujourd’hui, ce système de protection sociale, il arrive que les français ne le comprennent plus. Et l’un des éléments qui va lui permettre de se transformer et de construire, de bâtir, inexorablement le système de protection sociale d’après, c’est la place fondatrice, irremplaçable de la personne, la PERSONNE : pas « l’usager », pas le « bénéficiaire », pas « l’ayant-droit », La Personne. Le citoyen. Debout. Libre, en consentement, en expression de ses choix.
C’est un point central, dans l’évolution de notre système. Et c’est le point le plus complexe, le plus difficile, parce qu’il arrive, quand on est très âgé, au bout de sa vie, par exemple, mais aussi quand on a une fragilité qui vient d’une pathologie psychique, que l’expression du choix soit très complexe, soit très fluctuante, varie d’une heure à l’autre… Et que la capacité à exercer son choix soit entravée par cette situation de handicap très complexe sur laquelle nous balbutions encore beaucoup, et qui est celle qu’apporte la fragilité psychique. Eh bien moi je vous le dis, si la République n’est pas capable de consacrer des lieux de remédiation, qui permettent l’expression du choix, même si c’est pour savoir à quelle heure on prend le café ou même si c’est pour savoir ce que l’on va manger à midi ; si ces lieux n’existent pas, si ces lieux ne sont pas consacrés, et s’ils n’irriguent pas notre système de protection sociale, bien sûr, pour les personnes, on le sait, qui ont, au-delà des troubles psychiques, ont des troubles liés à des accidents vasculaires-cérébraux, c’est déjà dans la feuille de route ; demain avec des personnes avec autisme ? C’est en train de monter… Mais au-delà, des personnes en situation de perte d’autonomie, liée à l’âge du fait de pathologies neurodégénératives et de désorientation.
Si nous ne sommes pas capables de trouver et de sécuriser, je dis sécuriser, au sens de leur pérennisation, ces lieux-là, dans l’espace de protection sociale de la République, alors, nous ne saurons pas produire la transformation de notre modèle de protection sociale, en centrant ce modèle sur la personne.
Et vous voulez que je vous dise, ça va même au-delà de la question de la protection sociale, ça emporte aussi le domaine du sanitaire. La révolution du domaine sanitaire de demain, on est en train d’identifier qu’elle va se construire à partir de la Personne, qui n’est plus un patient qui patiente mais qui est un citoyen participant de sa stratégie de rétablissement.
Et ça, quand on y pense deux secondes, c’est un peu vertigineux, parce qu’on voit tout le chemin que nous avons à faire, et vous savez mieux que personne que lorsque l’équilibre n’y est pas dans un Groupe d’Entraide Mutuelle, alors les vieux réflexes normatifs peuvent prendre le pas et dénaturer la fragile interaction qui se joue entre les adhérents du GEM, et qui fait la spécificité du GEM. Quand je dis que c’est vertigineux, je dis qu’il faut véritablement mesurer le chemin que nous avons à parcourir, mais je dis que c’est à partir de ce que vous êtes, de ce que vous portez, vous, le CNIGEM, le GEM des GEM, vous qui organisez par l’information, par la formation, cette diffusion de la complexité irremplaçable du GEM que vous permettrez à vos adhérents, de se rétablir, de faire cette société inclusive pour prendre les mots du Président de la République, hier, vous donnez à tout notre système de protection sociale, la capacité de se transformer.
Mon message de ce matin, c’est de vous dire, chers amis, que vous êtes aujourd’hui les fabricants, vous êtes dans la fabrique du modèle de protection sociale de demain. Je crois que vous avez la capacité de le prouver par ce que vous faites et par ce que vous êtes. La puissance publique doit prendre le temps de reconnaître cela. Elle le fait, il faut qu’elle le fasse plus encore, de veiller à ce qu’aucune interférence jamais, ne vienne déformer l’esprit fondateur du Groupe d’Entraide Mutuelle, et qu’elle se colle à elle-même, l’obligation d’en prendre de la graine, pour la réforme du système de protection sociale.
Alors, c’est encore un peu tôt le matin, j’espère que je ne vous ai pas trop assommé…. Mais si vous voulez, comment vous dire, c’est de l’ordre de la conviction, la rage, c’est un peu trop fort, mais c’est de l’ordre d’une colère qui pourrait s’exprimer si d’aventure, le système dominant n’était pas capable de le comprendre. C’est mon militantisme à moi, et tout cela au fond je vous le dois en large part. A partir de ce jour où j’ai pris le café dans ce GEM à Bordeaux, j’ai entr’aperçu des choses qui n’en finissent pas de nourrir ma réflexion aujourd’hui.
Je vous souhaite une fructueuse journée et puis Vive le CNIGEM et à bientôt à la CNSA ».